Histoires anciennes de Plouha

 Version en breton

Voici deux évènements, majeurs dans l'ancienne histoire de Bretagne, qui se déroulèrent à Plouha et dans les environs.

 

L'ancien Mystère de Saint-Gwénolé

(En moyen-breton : An buhez Sant Gwenole abat kentaf eus a Landevennec : La vie de Saint-Gwénolé premier abbé de Landévennec)

 

Ce Mystère, écrit en 1580 relate des faits qui se déroulèrent vers 500. Il a été ré-écrit en 1716 par Dom Pelletier et a été retrouvé, plus récemment, en 1935 par Emile Ernault. Cette pièce de théatre se compose de 1278 vers à rimes internes de 8 à 12 pieds chacun.

 

Fragan (le Saint-Patron de Ploufragan - 22) et sa femme traversent la mer depuis la Bretagne insulaire (La Grande-Bretagne actuelle) et arrivent à Bréhec près de Plouha, où ils sont accueillis par leur cousin Gradlon, le roi de la Ville d'Ys. Ils se lamentent de ce qui se passe en Bretagne insulaire depuis qu'elle a été envahie par les Saxons, et demandent à Gradlon l'hospitalité. Celui-ci les accueille de bon coeur. C'est là que le couple donnera naissance à un fils : Gwénolé.

Aussitôt après dans la pièce de théatre, on voit Saint-Gwénolé, devenu prêtre, qui prèche à son oncle : Il enseigne à Gradlon sur la folie de ce monde. Celui-ci donne alors, comme pénitence, des monceaux de présents à Gwénolé et à son abbaye. Malgré tout cela, Gwénolé reproche plus violemment encore à Gradlon de ne pas être un bon roi, et ensuite il prédit aux habitants de la Ville d'Ys, avec le soutien de son oncle, la submersion de leur ville, mais personne ne les écoute.

Comme annoncé juste avant, la Ville d'Ys est immergée mais Gradlon est sauvé avec l'aide de Gwénolé. A partir d'alors Gradlon ira en retraite dans un monastère. A la fin de la pièce de théatre, Gwénolé s'entretient longuement avec la Vierge Marie, avant de réaliser de nombreux miracles (résurrection d'une morte...) puis d'inviter tous les spectateurs à louer, avec lui, le Seigneur.

Ahès la fille de Gradlon est Dahud selon Albert Legrand (cf. Gwenhudw, la fée des eaux au Pays de Galles – Cambrie.) La Gwerz de la Ville d'Ys qui a été écrite par Olivier Souêtre en 1850 est devenue depuis un des trésors de notre littérature orale chantée, et le peuple breton porte en lui, comme autant de traces, le souvenir de cette légende.

 

Aujourd'hui le Mystère lui-même est devenu moins populaire que la Gwerz de la Ville d'Ys qu'il a inspiré à Olivier Souêtre. Cependant il s'agit là d'un événement de grande importance pour la renommée de notre pays à travers le monde entier : la légende de la Ville d'Ys ! Et maintenant, il est temps de nous interroger : "Cette incroyable légende aurait-elle existé si Plouha n'avait pas été là ?

 

Que savons-nous à propos de Sainte Twina en 2003 ?

 

Sainte Twina de la mer en Bretagne

Officiellement, tout au long des derniers siècles passés, cette chapelle était connue sous le nom de "Sainte Eugénie". Il n'est nulle-part question de Sainte Twina dans les archives et les écrits, relativement nombreux d'ailleurs depuis le XVème siècle, d'après René Couffon ("Quelques notes sur Plouha, 1929, ré-édité par Expression, 1990). Voilà cependant comment commence la Gwerz de Sainte Eugénie : "Vie ou gwerz de Sainte Eugénie plus connue sous le nom de Santez Thouin de la mer."

 

 

Le nom Sainte Twina est encore vivant dans la mémoire des gens du port de Bréhec, Lanloup et des villages de Plouha aux alentours de la dite chapelle. Son nom est mentionné au cours du pardon de la chapelle qui est célébré au mois d'Août de nos jours. Jusqu'à la fin de l'ancien Pardon qui était célébré au printemps par les gens du secteur, c'est plus à Sainte Twina qu'à Sainte Eugénie que le menu peuple dédiait ses prières ("La Chapelle de Sainte Eugénie en Plouha", Louis Dagorn, Les carnets du Goëlo N°10-1994). Selon Pierre le Saoz (natif de Bréhec) quand quelqu'un parlait de "Sainte Eugénie"devant ses parents, tout de suite on rectifiait "Santez Twin" (Al Liamm, 1995, 290/291). Cependant il est évident que le culte de Sainte Twina ici à Plouha tombera dans les abîmes de l'oubli d'ici peu de temps si on ne rappelle pas son histoire au souvenir des gens. Ce n'est pas le pouvoir de l'eau de sa fontaine, sacrée capable de guérir les maladies d'oreilles selon la légende, mais malmenée par les pratiques agricoles modernes, que Sainte Twina survivra dans la mémoire collective. Et pourtant, que de miracles dans la vie de Sainte Twina. Son pardon était celui de la jeunesse. D'après Goulc'han Kervella ("Médecine et littérature en breton au  XIXème siècle") Sainte Twina était aussi priée pour les grossesses difficiles et pour calmer les angoisses.

La petite chapelle était sur le point de tomber en ruine après la dernière guerre mondiale. Si la chapelle a été sauvée d'une destruction certaine par des bénévoles depuis lors, le travail n'a pas encore été tout à fait achevé car une chapelle ne se compose pas uniquement de mûrs. "Sauvetage" n'est pas "Salut" ! Notre devoir collectif est de la rendre à sa propriétaire de toujours.

 

Dans le pays de Saint-Malo on célèbre également Sainte Ouine ; à Mordreuc (Pleudéhen) une chapelle porte son nom. Malgré les similitudes qui font de ces deux Saintes celles des gens de mer, rien ne tend à confirmer aujourd'hui qu'il s'agisse d'une seule et même Sainte. Ce qui nous paraît évident (ainsi que ça l'était à Anatole Le Bras et à Louis Dagorn) notre Sainte Twina de Plouha ne fait qu'une avec Sainte Douenwenn, fêtée au Pays de Galles (Cambrie). Nous avons à présent besoin de savoir qui était réellement Sainte Twina de la mer, et de connaître son histoire.

 

Sainte Dwinenn au Pays de Galles

C'est le 25 Janvier qu'on honore Sainte Dwinenn au Pays de Galles d'une façon plus convenable que dans notre pays, en Bretagne. Elle est la Sainte Patronne des amoureux. Son histoire a été publiée dans Bretagne Hebdo (22-28/01/03) par K. Keruhel. Elle vécut au 5ème siècle et elle était une princesse. Elle aimait Maelon et lui, le lui rendait bien. Pourtant elle ne souhaitait pas s'y marier. Ce ne fut pas aisé de le décourager du mariage et elle dut préparer un anti-filtre d'amour (un breuvage à l'effet opposé à celui que burent Tristan et Iseult !)

 

Llanddwyn au Pays de Galles

 

Mais le breuvage fut trop fort et Maelon en devint totalement gelé ! Tellement tourmentée de ce qui se passait, Douenwenn pria avec trois souhaits : 1) que Maelon soit décongelé, 2) Que tous les amoureux soient délivré des peines d'amour, soit en séparant les deux cœurs, soit en brisant tout à fait un amour qui ne serait pas partagé, 3) Que personne ne cherche plus à la conquérir. Ensuite elle alla vivre en ermite sur un îlot désert de Cornouailles. Porthddwyn au Pays de Galles lui est consacrée et une église lui est dédiée en Cornouailles britannique. De nos jours la fête de Sainte Dwynenn a de plus en plus de succès au Pays de Galles. La coutume veut que l'on offre des fleurs, du chocolat, et des cuillers d'amour à cette occasion. On envoie également beaucoup de cartes ce jour-là.

LA FONTAINE DE SAINTE DWINENN

"Nous aussi bas-bretons nous avons notre Sainte Twina. Elle a une chapelle en pays de Goëlo, à Plouha. Elle est honorée sous le nom de Sainte Twina de la mer" selon Anatole le Bras dans "Les annales de Bretagne, Décembre 1892."

Il traduisit en breton et en français la poésie du Gallois Ceiriog Hugues.

 

La chapelle de Sainte-Eugénie ou Santez Twina à Plouha

(traduit en breton par Pierre Le Saux à partir de l'écrit de Louis Dagorn)

 

Près du port de Bréhec sur la paroisse de Plouha, il y a une chapelle en l'honneur de Sainte-Eugénie, selon les prêtres, mais de tout temps, le peuple l'a appelée "chapel Santez Twin ar mor" (Chapelle de Sainte Twin de la mer), encore écrit Twyna, Twynen.

 

 

Comme Louis Dagorn, qui écrivit cet article, je suis né près de Bréhec, et quand nous étions gamins, nous avons bien souvent entendu nos parents parler de "Santez Twin", et si quelqu'un disait "Sainte-Eugénie" devant eux, tout de suite ils précisaient "Santez Twin".

Ma grand-mère m'emmenait tout gamin, chaque année, au pardon de Santez Twin.

 

Sainte-Eugénie ou Santez Twin, deux Saintes donc pour la même chapelle. Voilà bien un problème ! Pour le résoudre, on a inventé plusieurs hypothèses étranges. Pour certains, "Twina" n'était qu'une variante (un surnom) d'Eugénie.

D'autres pensent qu'après la révolution, un certain Monsieur Touine aurait apporté à Plouha les reliques de Sainte-Eugénie et fait construire une chapelle afin de les abriter. Mais les gens du pays n'avaient pas beaucoup de vénération pour une Sainte qui n'était pas de chez eux, et c'est pourquoi ils ne l'appelaient pas "Sainte-Eugénie", mais "la Sainte de Monsieur Touine" devenue rapidement "Sainte Twin" et puis voila ! Voila en tous cas ce que l'on pouvait lire dans la longue gwerz éditée à Lannion par le père de Charles le Goffic à propos de notre Sainte : "Buhez pe werz Santez Ujenia mui anavet dre an anv Santez Twina ar mor..." (Vie ou gwerz de Sainte Eugénie plus connue sous le nom de Santez Twina ar mor…)

D'après un certain Jacques de Vorajin, dominicain, archevêque de Gênes au XIIIème siècle, Eugénie était née à Rome au début du IIIème siècle. Son père, un noble, fut nommé préfet d'Alexandrie. Convertie au christianisme elle fut baptisée et demanda à devenir abbesse dans un monastère, et en 257 elle mourut, vierge et martyre. Dans la chapelle on peut voire une statue d'Eugénie avec une crosse d'évêque. Voilà la version officielle de l'Eglise.

Mais pourquoi donc cette Sainte là était-elle appelée "Twin" par les petites gens du peuple dont la langue maternelle était le breton ? Elle était très honorée et les gens accourraient de loin à son pardon.

Dans la gwerz pré-citée on trouve le nom de ce monsieur Touine en tant que courageux bien-faiteur, Grimault de son vrai nom. Il aurait donné par testament en 1643, tous ses biens pour faire construire une chapelle.

Un individu, ignorant le breton, a même déclaré un jour : on écrivait "Ouin" à la place de "Eugénie" en breton, et comme l'expression "Santez Ouin" choquait des oreilles bretonnantes, on y ajoutait un -t- à l'oral d'abord, et par écrit ensuite.

C'est Anatole le Bras (1859-1926) qui apporta la réponse à notre problème en traduisant, en breton et en français la poésie du Gallois Ceiriog Hugues : "la Fontaine de Llandwynen". "Nous aussi nous avons en Basse-Bretagne, à Plouha, notre Sainte Twina". "Llan" signifie "paroisse" en gallois, de même que Lanmaodez est dédié à Maodez ici en Bretagne : le "Llan" gallois équivaut donc au "Lan" breton.

Nos Saints bretons ont bien des vertus, Mais Twynen est l'une des meilleures car elle sait consoler les peines de coeur, au dire de la poésie. Selon la légende galloise, Twynen aurait enfermé son bien-aimé dans une cage de verre pour qu'il ne vieillisse pas et qu'il reste toujours près de son coeur : on en a fait la Sainte-Patronne des amours véritables au Pays de Galles (Cambrie.)

Twina de Plouha est aussi la Sainte-Patronne des amoureux. Elle était également priée pour les grossesses difficiles, les peines et les tourments. Au début du XXème siècle le Pardon de Santez Twina était considéré comme le pardon de la jeunesse, où se retrouvaient des générations de jeunes gens à la foi bouillonnante. C'est la même foi que celle de nos ancêtres qui arrivèrent en Petite Bretagne, venus de l'autre côté de la Manche, chassés par les envahisseurs de Bretagne insulaire.

Ils continuèrent, après avoir émigré, à vénérer Twina, et la source qui jaillissait là, près de la Pointe de Bréhec, devint pour eux une fontaine miraculeuse.

Tout cela se passa donc entre le Vème et le VIIème siècle, quand l'Armorique devint la Bretagne.

Bien longtemps après, il fut élevé une chapelle en l'honneur de Sainte-Eugénie à ce même endroit, mais le peuple continua invariablement à honorer Twynen la Bretonne (de Bretagne Insulaire).

 

Plus près de nous pour terminer, Yvonne Le Meur (une bretonnante de Plouha, née et restée habiter là pendant toute sa vie, décédée il y a un an) me parlait souvent du fameux pardon de "Santez Twin".

 

Connaissez-vous Santez Douenwenn la Sainte-Patronne des amoureux ?

Nous voici donc en Pays de Galles, sur les pas de Santez Twina, en gallois ce n'est pas tout à fait la même orthographe qu'en breton, mais c'est la même Sainte, aucun doute possible ! Voici donc un article de la plume (bretonne) de K. Keruhel, paru il y a peu dans Bretagne Hebdo.

La Saint Valentin est fêtée depuis quelques années seulement, elle sert avant tout une fin commerciale. Mais saviez-vous que les Celtes ont une Sainte patronne des amoureux, similaire ? Elle est surtout honorée au Pays de Galles.

 

Là-bas elle est surtout connue sous le nom de Dwynwen, mais on trouve d'autres écritures : Dwyn, Donwen, Donwenna, Dunwen, Thenova...

Elle vivait au 5ème siècle et était l'une des 24 filles du prince Brychan Breicheinog. Elle était merveilleusement belle, aussi belle que le soleil ;

Elle était amoureuse de Maelon, et lui était fou amoureux d'elle. Malheureusement, elle ne voulait pas se marier avec lui : la raison n'est pas claire. Selon certaine version de l'histoire, elle souhaitait devenir religieuse, dans une autre elle avait été donnée en mariage par son père à un prince, et le malheureux Maelon, lui, ne comprenait pas pourquoi, ou ne souhaitait pas comprendre. Peinée de l'empressement de son bien-aimé elle s'enfuit loin de lui et alla se cacher dans un bois. Une nuit, en rêve, un ange lui enseigna comment préparer un anti-philtre d'amour pour faire cesser le sentiment qui l'unissait à Maelon.

La posologie ne fut sans doute pas bien suivie quand le brevage fut proposé à Maelon, car il cassa tous ses élans envers Dwynwenn, tant et si bien qu'il se transforma en glace.

Douenwenn se recueillit longuement pour que 3 de ses prières soient éxaucées : 1- que Maelon soit libéré de la glace ; 2- que tous les vrais amoureux soient délivrés des maux d'amour, ou en les unissant dans l'harmonie, ou en cassant les amours malheureux subis par un seul ; 3- que personne ne la demande en mariage. Elle parti alors s'installer dans un endroit tout à fait désert, un îlot non-loin de l'île de-Vôn : Ynis Llanddwyn.

C'est de là que Santez Douenwenn devint la Sainte-Patronne de tous les amoureux. Par exemple, nous savons que le poète Dafydd ap Gwilym, au 14ème siècle, lui avait demandé de lui donner Morfudd, la femme qu'il aimait. Ce poète était fort hardi car Morfudd était une femme mariée !

L'endroit est devenu très célèbre par la suite, au 16ème siècle : on y faisait de nombreux pardons, et il devint le lieu le plus riche de la région.

Il y a là une fontaine sacrée : Ffynon Dwynwen. On peut connaître la véracité d'un amour en y jetant des miettes de pain, et en y étalant ensuite un mouchoir à la surface de l'eau. Si quelque anguille vient à le troubler les choses vont pour le mieux ! Il y a encore plus simple : si l'eau bouillonne alors que vous vous trouvez en face de la fontaine, c'est que tout va bien.

Santez Douenwenn est également priée pour guérir les animaux domestiques.

On trouve aussi des fontaines d'amour en Bretagne, avec ces mêmes éléments : des miettes, des anguilles, des linges... et cette Fête là (25 Janvier) est toute proche de la grande fête de toutes les femmes dans le calendrier celte, le premier Février. Ce sont les déesses qui étaient chargées de protéger les animaux.

Porthddwyn au Pays de galles lui est également dédié, et une église en Cornouailles britannique. En Bretagne armoricaine, c'est sous le nom Touinenn, Touin, Touina... qu'elle est connue... Elle est honorée à Plouha, Lanloup, Pleudihen-sur-Rance, par exemple.

Cette Fête a de plus en plus de succès. On a l'habitude, à cette occasion, d'offrir des fleurs, des chocolats et des "cuillers-d'amour" si célèbres au Pays de Galles, on envoie également bien des cartes postales. N'oubliez donc pas : le 25 Janvier.